Croix-Haute


À l’automne 2018 je commence une exploration photographique sur un territoire familier, un trajet qui mène d’une destination inconnue à une autre, dans un massif montagneux de la France rurale traversé par des ponts et tunnels. Ces paysages sont en attente.
À chaque extrémité de la route, l’autoroute nous informe que sa fin est provisoire.
À travers ce projet, la collecte des images se passe sur une route et ses abords. L’attention se porte sur les éléments physiques qui les caractérisent. Ma posture d’observateur est d’utiliser la photographie comme outil d’enregistrement subjectif, d’exploiter l’image pour définir les étapes d’un déplacement dans l’objectif et d’enrichir la compréhension d’un espace.






LA ROUTE DE LA CROIX-HAUTE

Il n’est pas si commun de croiser un périple photographique attaché à une route, que, bien qu’elle ne lui soit pas étrangère, l’auteur ne tient pas à localiser. Nous dirons qu’il s’agit de la route de la Croix-Haute, qui mène d’une destination inconnue à une autre, dans un massif montagneux de la France profonde, traversé par des ponts et des tunnels.

Ce qui frappe immédiatement est le ressenti familier emprunt de ce regard à l’américaine porté sur les choses, sans doute à l’imagination défendante du photographe. On traverse donc au premier abord une singularité qui fait écho à celle d’Alex Soth, sans flirter avec la séduction de ses mises en scènes frictionnelles ou provoquées ; et qui, dans un deuxième temps, nous évoque Robert Franck dans son fameux voyage d’est en ouest, mais cette fois là sans la pellicule noir et blanc, dans ce climat de rigueur parfois austère et détaché.

On sent que Florent Quignon connait bien son sujet, qu’il a souvent arpenté « sa » route, y jetant des coups d’oeil de repérage qu’avec le temps il transforma en images. Il règne dans tous les cas dans ce parcours une atmosphère de mélancolie passéiste comme si le temps n’avait pas encore fait son oeuvre de modernisation, sans doute due au choix des lumières neutres et des saisons qui tombent sur ces bâtiments oubliés.

L’été y est curieusement absent pendant que cette croix dite haute parait inatteignable, du fait de sa solitude glacée, elle qui nous fait passer d’une étape à une autre.



Les personnages sont rares dans ces hameaux et auberges de montagne, un homme devant son automobile jaune semble le contredire, mais il se cache derrière sa porsche et ses ray-ban pour manger son sandwich sans jeter un seul regard à l’environnement immédiat, jouant les intrus dans ce parking privé. Un routier devant sa table vide repose un instant son regard absent de la route, une bouteille de soda light dans sa main et l’employé de la station comme caché derrière son reflet est saisi dans son ennui, pendant que sur le mur s’alourdit un trophée grimaçant de cerf dénudé.

La chambre d’hôtel est déserte, la gare est abandonnée, la grange dépérit, le chalet ricane avec ses volets rouges enfantins, le bar nous avertit qu’il est bien « ouvert » malgré sa banquette de sky solitaire, le bouquet de fleur attend l’instant fatidique de son dépérissement, pendant que le regard du photographe derrière le pare brise se noie de larmes et d’humidité dans la fraîcheur matinale. Là se dresse, bouchant l’ horizon, cette façade de pierre qui rappelle celle où l’avion de Germanwings s’était écrasé, pas si loin sans doute, et ce pont gris et monumental tel un hommage à la résistance de la dernière guerre morte.

C’était dans le sud ; qui repose, là, intemporel, en attendant on ne sait quelle aventure qui remuerait le silence et le temps immobile de la province, peut-être celle des images que luia dédié Florent Quignon.

Gilles Verneret

Galerie Le Bleu du Ciel - Lyon